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L’épuisement créatif dont personne ne parle

Autour de 2008, alors que je revenais de chez le médecin, je me suis senti complètement perdu. Il m’a dit que je devais changer ce que je faisais parce que je me dirigeais tout droit vers l’épuisement créatif. À cette époque, dans ma carrière, j’avais pourtant l’impression d’être à mon apogée : je tournais, je sortais de la musique, je faisais des remixes, j’étais invité à de grands festivals et j’avais un emploi occasionnel à temps partiel comme professeur. Je n’avais pas à me plaindre : j’avais l’impression de vivre mon rêve.

Que se passait-il exactement ?

Avant de m’expliquer, je tiens à dire que cet article concerne ce que j’ai appris à la dure. Je parle d’une chose importante que personne ne vous dira :

Ce n’est pas parce que vous faites ce que vous aimez que vous êtes à l’abri de vos limites. C’est surtout parce qu’en faisant ce que vous aimez, vous pouvez oublier qu’il reste une forme de travail.

Quand tu fais ce que tu aimes, tu te sens invincible. Cela pourrait être lié à la sensation de flow, expliquée par Mihály Csíkszentmihályi, qui est un état dans lequel vous entrez lorsque vous créez ou devenez vraiment concentré. La musique, c’est de l’inspiration, et l’inspiration ne vient pas « quand on en a besoin », elle est simplement là ou non.

Comment reconnaissez-vous les signes annonciateurs d’un burnout ?

  • Négativité dans les discussions. Vous voyez-vous en train de parler négativement à vos amis ou sur les médias sociaux ? Il est intéressant de regarder une semaine de publications sur Facebook et de voir si vous avez été plus positif ou négatif.
  • Perte d’intérêt pour la musique ou tout ce que vous aimiez.
  • Désir d’annoncer que vous vous retirez (du DJing ou autre), que vous vendez tout votre matos, que vous supprimez des projets, que vous abandonnez.
  • Cynisme envers le monde de la musique, ce que vous faites, les autres qui font de la musique.
  • Jalousie, envie, découragement lorsqu’on fréquente d’autres artistes qui se débrouillent bien.

Notez si l’un de ces symptômes persiste.

Ces obstacles peuvent mener à l’épuisement professionnel :

SURMENAGE

Passer d’un emploi « normal » à temps plein à la transformation d’un passe-temps que vous aimez en emploi exige une courbe d’apprentissage assez abrupte. Il y a plusieurs choses à prendre en considération. L’argent dans la vie de l’artiste est la source d’un énorme stress. Non seulement vous ne pouvez pas prédire quand les choses vont fonctionner, mais lorsqu’elles fonctionnent, vous ne savez pas combien de temps ça va durer. Comme il n’y a pas de relation évidente entre le travail créatif que vous faites et ce que vous récoltez, il devient très facile de se surmener. Jumelez cela avec le plaisir de faire de la musique, et au début vous aurez l’impression d’avoir trop de temps sur les bras pour savoir quoi faire. Comme je l’ai décrit dans un article précédent sur le fait que passer beaucoup de temps en studio est contre-productif : vous pouvez facilement ruiner beaucoup de votre propre musique. Pendant les premières années où je faisais de la musique à temps plein, j’ai senti que je ne créais pas de la musique qui avait autant de sens que lorsque je travaillais et faisais de la musique sur le côté ; cette prise de conscience a changé ma façon de faire de la musique pour le mieux.

Dans mon cas, avec mon label (Archipel), le mastering, les tournées et tout le reste, je travaillais jusqu’à 60 heures par semaine. J’ai oublié de prendre soin de ma santé. Pas étonnant que je n’aie pas pu suivre le rythme après quelques années. Quand tu fais ce que tu aimes, ça n’a jamais l’air d’un travail… mais ça l’est.

ATTENTES

La gestion de vos attentes est extrêmement délicate dans le domaine des arts. Le but ultime est d’obtenir la reconnaissance, parce que beaucoup de choses se déroulent après cela. Vraiment ?

C’est très difficile à dire, et ça perturbe votre zen. Par exemple, si vous pensez que cette sortie sur un label spécifique vous donnera certaines opportunités, ou si vous pensez que jouer pour une gig vous amènera à avoir de meilleures gigs, ou travailler avec un agent vous donnera plus de visibilité, etc., toutes ces choses — en théorie — pourraient être vraies. Vous admirez des modèles qui ont atteint un niveau que vous voulez atteindre, mais il se peut que vous n’y arriviez jamais, même en faisant les mêmes choses.

Pourquoi n’y a-t-il pas une recette que vous pourriez suivre pour garantir des résultats ?

Les arts sont un grand pari ; une loterie où le résultat n’est pas déterminé par quoi que ce soit d’autre rationnel que — très probablement — le timing et le réseautage. Et même si vous avez raison, cela ne mènera peut-être à rien du tout.

La seule chose que vous pouvez contrôler, c’est votre patience et votre résilience. C’est à peu près tout.

Certaines personnes vous diront qu’ils peuvent faire une différence, mais vous pourriez arriver à l’opposé de ce que vous voulez ; les gens n’aiment pas les artistes qui ne cessent de « se vendre ». Savoir quand ou quand ne pas avoir d’attentes est certainement incroyablement sain, surtout si vous pouvez les réduire pour qu’elles soient réalistes.

En conclusion, ce que je recommanderais en me basant sur mon expérience de l’épuisement créatif :

  • Si vous pouvez mener une vie saine de travail/musique, essayez de continuer à le faire le plus longtemps possible. Ce n’est pas seulement bon pour vous, mais vous aurez aussi de l’argent à investir dans votre métier. L’équilibre est central..
  • Si vous êtes assez courageux pour essayer de vivre de la musique, traitez-la comme un travail. Donnez-vous le temps de ne pas travailler — c’est tout aussi précieux.
  • Trouvez un nouveau passe-temps. Puisque la musique était autrefois la vôtre et qu’elle occupe tout votre temps, essayez de faire autre chose.
  • Dormez de longues nuits et faites la sieste. Évitez de faire la fête régulièrement.
  • Collaborez, déléguez, demandez de l’aide. Se connecter avec d’autres humains est toujours étonnant pour le rétablissement !

Comment allier relations, rôle parental et musique ?

Je suis père de famille. On me demande souvent comment j’arrive encore à trouver le temps de faire de la musique avec l’agitation tous azimuts qui règne sur ma vie. Il n’y a pas d’équilibre parfait dans ce que la vie vous offre — l’équilibre entre la musique et le rôle parental est un défi — mais j’arrive à diriger une maison de disques, à faire des sets live et à sortir des productions originales, tout en étant parent. La vie d’une personne qui a la responsabilité de faire de la musique et d’être parent est très différente de celle d’une personne qui n’a besoin de se concentrer que sur elle-même et la musique. Prendre conscience ce fait et l’accepter a été pour moi le premier pas vers l’appréhension de mes propres frustrations.

Votre temps libre va devenir sacré.

En tant que parent, vous devez éliminer toutes les distractions possibles au moment où vous êtes prêts à faire de la musique, parce que votre temps est limité. « C’est évident », dira-t-on, mais en fin de compte, en tant que musicien et parent, c’est le point le plus important selon moi pour profiter au maximum de son temps.

  • Prévoyez du temps pour la création. Cela implique également l’aide de votre partenaire, car il/elle mérite aussi d’avoir son propre temps de créativité en retour.
  • Essayez de faire de la musique hors de chez vous. Si possible, partagez un studio avec quelqu’un ou essayez de trouver un endroit où personne ne peut vous interrompre.
  • Désactivez les notifications électroniques, les médias sociaux, votre téléphone, etc.

L’ennemi numéro un de la créativité est de se concentrer sur trop de choses à la fois. Essayez de prendre un peu de temps sur les choses moins productives comme jouer aux jeux vidéo ou regarder des films, pour faire des choses comme apprendre à utiliser certains plug-ins qui seront bénéfiques pour votre art.

Echo Beach et Dahlia (Photo par Katherine Hoos)

Travaillez plus vite et corrigez plus tard.

Une chose que j’ai remarquée depuis que je suis devenu père, c’est comment j’ai dû optimiser mon utilisation du peu de temps libre dont je dispose pour maximiser ma productivité. Par exemple, je vais programmer une loop de percussion dans une fenêtre de 5 minutes de temps libre. J’ai aussi développé des astuces pour transformer une loop en chanson complète en peu de temps. J’aborde aussi vite que possible les éléments qui n’ont pas besoin de pensée critique. Voici quelques conseils que vous pouvez utiliser pour faire de même :

  • Déterminez à l’avance comment vous allez utiliser votre temps. Cela exigera de la discipline, mais par exemple, je sais à l’avance que ma prochaine session doit se concentrer sur une tâche spécifique, comme un remix ou un mixdown. Cela m’aide, une fois en studio, à empêcher mon esprit d’errer vers des sujets ou des tâches sans rapport. Une des choses que j’ai comprises après être devenu parent, c’est que lorsque je me rendais au studio, j’étais tellement excité que je voulais faire trop de choses à la fois, et finalement je n’avançais sur rien du tout.
  • Planifiez comment sera telle ou telle track. Vous devrez vous y tenir dans la création. Y a-t-il quelque chose dont vous puissiez décider à l’avance qui libèrera votre esprit de la prise de décisions fastidieuses ? Par exemple, combien de temps durera la piste sur laquelle vous travaillez ? Plutôt ambient ou dancefloor ? Punchy ou subtil ? Les athlètes peuvent dépasser leurs limites en visualisant à l’avance ce qu’ils feront et cela s’applique également pour vous. Plus les choses sont claires à l’avance, plus vous serez efficace. Utilisez un carnet de notes si nécessaire.
  • Ne vous concentrez pas tout de suite sur les détails. Les détails sont une perte de temps, alors essayez de vous concentrer sur la vue d’ensemble et corrigez tous les petits détails lors d’une session future.
  • Considérez votre limite de temps comme un outil créatif et non comme une contrainte. J’ai beaucoup appris en travaillant conformément au manifeste musical de Matthew Herbert et une chose que j’ai apprise, c’est que laisser des erreurs dans vos morceaux n’est pas une grosse affaire. Cela peut même être une déclaration artistique si vous croyez à l’imperfection. Parfois, cela peut bien sonner… si vous acceptez de les laisser.

Ne pas faire de musique n’est pas une perte de temps.

Une des choses que j’ai dû gérer, c’est le rêve éveillé. Quand je ne fais pas de musique, j’ai parfois peur d’être en retrait ou de manquer une occasion. Cependant, certaines des meilleures idées musicales me sont venues alors que je ne faisais pas de musique du tout. Partager cela avec d’autres m’a fait réaliser que je ne suis pas seul dans ce phénomène. Il semble que le cerveau peut faire éclore de grandes idées quand il fait autre chose ; tout arrive en temps voulu. Dans un article précédent, j’ai expliqué comment repérer vos déclics créatifs ; cela peut être un avantage crucial si vous en êtes conscient.

Echo Beach et Dahlia (Photo par Katherine Hoos)

Echo Beach et Dahlia (Photo par Katherine Hoos)

N’attendez pas les conditions parfaites pour commencer à faire de la musique. Habituez-vous parfois à travailler avec des écouteurs, à des moments très étranges de la journée. Get things done.

Faites place à des habitudes saines

Pour une raison ou une autre, je vois beaucoup de gens qui sont réticents à l’idée de prendre certaines habitudes. Ils associent la musique à la débauche et à la fête. Oui, c’est possible, et si c’est ainsi que vous le voyez, pourquoi pas. Mais en même temps, si vous aspirez à devenir plus professionnel, organisé et à faire bouger les choses, vous devrez vous concentrer sur vos priorités. Une des choses les plus utiles à faire est de rendre votre art plus sain.

  • Faites plus de sport. Le sport aide à la concentration et aux idées. C’est factuel. Dans mon cas, je peux faire un meilleur travail créatif après mon jogging, et je suis généralement plus enthousiaste à propos des nouvelles idées après une séance de yoga.
  • N’ayez pas de dépendances. Je ne parle pas de « dépendances » comme dans le cas d’un partenaire ou d’enfants, mais si vous dépendez de substances ou de conditions étranges pour faire de la musique, il est temps de vous en séparer. Assurez-vous de pouvoir faire de la musique sans ou avec peu de préparation, c’est une des choses les plus libératrices. Si vous avez besoin de « faire la fête » pour faire de la musique, cela limitera grandement vos options.
  • Profitez au maximum de vos heures matinales. Si vous n’en avez pas déjà fait l’expérience, les matins sont en fait un excellent moment pour faire preuve de créativité. Certaines personnes croient qu’elles ne peuvent travailler que la nuit, mais — pour la plupart — c’est faux. Vous pouvez obtenir beaucoup de choses faites avec un esprit clair et des oreilles fraîches. Je fais toujours mes masterings le matin, car à cette heure-ci, mes oreilles sont à leur plein potentiel.
  • Méditez. En fait, cela a probablement été mon arme secrète pour rester productif pendant ma paternité. Une simple pratique de 5 à 10 minutes me vide l’esprit et m’aide à rester très créatif, tout en mettant de l’ordre dans mes problèmes.

Enfin, essayez d’impliquer votre enfant ou vos proches dans votre musique. Ce n’est pas quelque chose qui doit nécessairement fonctionner, mais cela peut les aider à comprendre ce que vous faites, comment vous le faites et ce que cela implique en termes de concentration.

 

J’espère que certains de ces points vous aideront à maximiser votre temps en tant que parent ou partenaire ! Rappelez-vous également que vous pouvez toujours demander de l’aide.